Alfred Roll

1846 - 1919



Le Gaulois mardi 29 décembre 1898

UN ARTISTE FRANCAIS A LA COUR DE RUSSIE

Chez M. ROLL

II y a environ deux mois, nous annoncions le départ pour Saint-Pétersbourg de M. Roll, le célèbre peintre français, qui
se rendait en Russie pour y prendre un certain nombre de croquis et d'études en vue de son tableau :
L'Inauguration du pont Alexandre III.

M. Roll, qui a passé six semaines à Saint-Pétersbourg, vient de rentrer à Paris.
Nous sommes allé le voir, non pour lui demander une interview, ce qui n'est guère dans les habitudes de l'éminent artiste,
mais plus simplement afin de connaître les impressions qu'il rapporte de Russie.

Il est à peine besoin de le dire, M. Roll se montre ravi de son voyage et de son séjour à Saint-Pétersbourg.
Partout accueilli et traité avec faveur, et comme les Russes savent le faire, en grands seigneurs, M. Roll a été assez heureux
pour obtenir de l'Empereur de Russie un certain nombre de séances, qui lui ont permis de pousser assez avant une étude du
portrait de Nicolas II.
De même l'impératrice Alexandra-Feodorovna a daigné accorder à M. Roll quelques instants, de sorte que l'artiste est aujourd'hui
sans inquiétude pour son tableau.

D'ailleurs, l'empereur de Russie, désirant témoigner toute sa bienveillance à M. Roll et voulant marquer l'intérêt qu'il porte
à son œuvre, a demandé à notre compatriote qui ne pouvait séjourner plus longtemps a Saint-Pétersbourg de revenir au
cours de l'été prochain, au mois de juillet, par exemple; à ce moment, Nicolas II donnera à M. Roll une nouvelle série de séances.
L'offre était des plus flatteuses M. Roll y répondra, on le comprend sans peine, avec grande satisfaction.

En outre, l'Empereur doit faire remettre à M. Roll, par les soins de l'ambassade de Russie à Paris, son uniforme de colonel de
Preobrajensky, que portait Sa Majesté à l'inauguration du pont Alexandre III.

C'est a Tsarkoïé-Sélo, la résidence impériale voisine de Saint-Pétersbourg, dont vingt verstes seulement la séparent, que l'Empereur
accordait ses séances à M. Roll.
Chaque fois une voiture de la Cour venait prendre l'artiste chez lui et l'y ramenait.
M. Roll a pu admirer le château que fit construire Catherine II et à propos duquel on raconte cette anecdote: Le château de Tsarkoîé-Sélo
était à peine achevé, lorsque l'Impératrice invita l'ambassadeur de France à le visiter avec elle.
Celui-ci s'émerveillait tout-naturellement à chaque pas, et quand la promenade fut terminée, il s'arrêta un instant et, embrassant l'ensemble
de la construction, il répondit à Catherine II qui lui demandait ce qu'il cherchait :
--- La cloche qui doit recouvrir ce joyau !

Pendant le séjour en Russie de M. Roll, l'Empereur était tout particulièrement occupé par les nombreuses parades militaires qui ont lieu à
Saint-Pétersbourg, à cette époque de l'année.
Même il fut donné au grand artiste de suivre de près la célébration de la Saint-Georges, le patron de la Russie militaire.
On sait que la croix de Saint-Georges est une des plus justement estimées: elle n'est donnée qu'au mérite militaire et pour faits de guerre.
Qu'il soit grand seigneur ou simple moujik, le chevalier de Saint-Georges est convié à la fête du 26 nov./ 8 déc. que préside l'Empereur,
en présence de l'Impératrice et de la famille impériale.

C'est au Palais d'Hiver, dans la salle des chevaliers de Saint-Georges, dont les colonnes corinthiennes font un si bel effet, qu'a lieu la l'été.
Le trône s'élève au milieu.
Après la cérémonie religieuse, un banquet solennel est servi aux chevaliers M. Roll a été frappé par le caractère extrêmement brillant et
décoratif et en même temps cordial de cette fête toute militaire.
Les grands de ce monde, sous leurs beaux uniformes chamarrés d'or, s'y coudoyaient démocratiquement avec les moujiks vêtus de peaux de
bêtes, où était attachée la précieuse croix de Saint-Georges.

Le comte Worontzoff-Daschkoff, ministre de la Cour, qui avait facilité à M. Roll l'accès d'une tribune, d'où il pouvait tout voir, y fut bientôt
rejoint par le secrétaire de Ménélick, envoyé par le Négus en ambassade en Russie.
M. Roll ne s'est pas encore mis à la composition d'ensemble de son tableau, qui doit être prêt pour 1900, mais il l'a déjà arrêtée dans son esprit,
du moins dans ses grandes lignes il est probable qu'il représentera la théorie des jeunes filles en blanc, qui produisit une si profonde impression,
au moment où elles viennent offrir des fleurs à Leurs Majestés.
L'une de ces jeunes filles baisera la main de l'impératrice Alexanra-Feodorowna.
Autour des souverains figureront sans doute le comte Worontzon-Daschkoff, la princesse Galitzine, grande-maîtresse de la Cour,
Mlle Vassiltchikoff, demoiselle d'honneur de l'Impératrice ; le prince Troubetzkoy, et un certain nombre de personnages français.
Toute latitude est du reste laissée à M. Roll, qui a reçu la commande de M. Henry Roujon, directeur des beaux-arts, et qui s'acquittera
de sa tâche, sans parler de son noble et haut talent, avec ce tact exquis dont il a déjà donné tant de preuves.

Henry Lapauze