LOUIS POUPART - DAVYL
LOUIS DAVYL

1835 - 1890


Extrait du journal " Le Figaro du 17 Août 1890 "

Il a succombé hier à l'atroce maladie qui, depuis six mois, inquiétait tous ses amis .
Il avait une tumeur au cou .
Quand serai-je délivré ? disait-il lui même .
Il se savait condamné .
Dans sa bouche, cela voulait dire : Quand mourrai-je ? Il parlait avec amertume de tout excepté de la mort .
Une fois le l'ai vu saluer avec un respect sympathique le convoi d'un inconnu .
...Tenez, fit-il, en voilà un qui est heureux, il a payé .
Louis Davyl, qui avant d'avoir son nom sur une affiche, s'appelait Poupart-Davyl, est l'une des premières relations
que j'aie eu à Paris.
C'est notre correspondant de Londres ? Tomy Johnson, qui me la fait connaître, quand jétais encore étudiant en 1805
A cette époque, Davyl Davyl avait trente ans .
Après avoir débuté par être secrétaire de Gustave Planche, il avait acheté l'imprimerie du Sénat et du Corps Législatif
où il ne publiait, pour son malheur, que les travaux des deux chambres .
Très artiste, il avait reconstitué les caractères elzéviriens .
Il les employa à un trop grand nombre d'éditions coûteuses vers 1866, il cherchait de l'argent .
Davyl, que mes confrères ont connu si fort et si solide, était alors un grand garçon, très mince, qu'allongeait encore
une redingote indéterminable .
Il avait déja de l'esprit, mais ses soucis personnels l'empêchaient d'être longtemps gai .
Après une saillie amusante, il ne manquait jamais de lancer un de ses mots qui sont cruels parce qu'il sont vécus .
Trois ans aprè, il était forcé d'abandonner son imprimerie .
Il se retira, très poursuivi, à Bois le Roi où il se lia avec Gustave Mathieu et Métra, tous deux morts également .
Quand on est ruiné et qu'on a toujours vécu entre des hommes de lettres et des artistes, des gens qui reposent comme
Davyl les appelait, on sefait où peintre où écrivain .
L'ancien imprimeur devait, par son esprit acéré, plaire tout particulièrement à Théodore Barriére.
Il lui proposa d'écrire avec lui " Le Gascon " qui eu un joli succès en 1873 .
Seulement chacun des deux collaborateurs était trop autoritaire pour que l'union fût durable .
On se fâcha dès les répétitions .
Un an après, en décembre 1874, Davyl remportrait tout seul à l'Odéon un véritable triomphe avec la "Maitresse Légitime" .
On se rappelle les applaudissements que souleva le seul seul nom d'un personnage .
Un huissier déjà annoncé venait d'entrer en scène .
...A qui ai-je l'honneur de parler?
...A M.Le Giflé !
L'auteur vengeait l'ancien imprimeur .
Grâce à la " Maitresse Légitime ", Davyl connut de nouveau la fortune .
Il ne se contenta point de se venger, il s'acquitta .
... Je fais mon bourgeois! disait t'il .
Si c'est le métier le plus bête, c'est encore le plus tranquille .
En 1876 deux autres pièces, " Les Vieux Amis ", au Gymnase, une comédie qui ne fût qu'estimable ;"Coq-Hardy" un beau drame,
à la Porte Saint-Martin .
En 1878 " les Abandonnées ", drame en cinq actes; " Monsieur Chéribois ", comédie en cinq actes .
Plus tard, " Galante Aventure " opéra comique en trois actes, avec Armand Silvestre; " l'Amour ", un grand drame .
Ces pièces, toutefois, n'eurent pas le succès qu'espérait Davyl .
Il devait rester l'auteur de la " Maitresse Légitime ", il essaya d'autres genres .
Ici même il donna de nombreuses chroniques qu'il signa Pierre Quiroul .
Dans différents journaux il publia des romans, " La Toile d'Araignée", " Le n ° 13 de la rue Magloire " , ouvrage peut-être
un peu trop réaliste, mais plein de qualités ; " Le dernier des Fontbriand ", " Zélie Clairon " , " Honneur me tient " .
Davyl n'avait pas que de l'esprit; il avait beaucoup de coeur .
Bien qu'il en dépensit énormément dans la vie, il lui en restait pour ses écrits.
Je sais de lui le fait suivant ;
Quand son ami Charles Battaille mourut , deux êtres restaient sans pain, une mère et un enfant.
Davyl dit à la mère : Vous allez avoir beaucoup de mal .
Confiez-moi l'enfant .
Et il s'occupa du petit avec un dévoùment inoui .
Ce gamin était rebelle à l'étude, il disait : " Quand je serais très savant, j'aurai l'idée de faire comme papa .
je voudrai écrire, la belle avance, cela ne lui a pas si bien réussi " .
Davyl, néanmoins, fit tout au monde pour que l'enfant sût autant de grec et de latin que lui .
Celui-ci n'y mordait pas .
Mais quel avenir te prépares-tu ?
Je choisirai un métier où l'on gagne de l'argent .
A la fin, Davyl eut une idée de génie .
Le jeune Battaille avait seize ans, son père adoptif le conduisit chez un banquier .
Je vous amène quelqu'un qui je crois vous rendra service .
Il est extraordinaire, il ne pense qu'à l'argent, il me semble qu'ici vous pourrez l'utiliser .
J'essaierai dit le banquier, et il le prit à cent francs par mois .
D'année en année il l'a augmenté .
Aujourd'hui, le fils du bohême fait une existence dorée à sa mère .
C'est d'ailleurs le plus charmant garcon du monde .
Il y a quelques années, Davyl, dont la vie devait être bourrée d'épreuve devint presque aveugle .
Il voyait encore, mais dans un nuage, l'ami qui déjeunait à sa table; il ne pouvait écrire .
Chaque matin, avant d'aller à son bureau, chaque soir , en en sortant, le fils de Battaille allait se mettre à sa disposition
et écrivait sous sa dictée .
Davyl pourtant retrouva ses yeux, en était-il assez content! il habitait alors à l'entrée de Montmartre .
Vers six heures, on le voyait au café de la Place Blanche où l'attendait Claveau, Clovis Hugues, Bénassis et bien d'autres .
C'était là qu'il recueillait les bruits de Paris .
Il les commentait avec sa verve toujours amère .
Il tonnait contre le gouvernement, contre les faiseurs de scandales contre les imbéciles de tout rang .
Ah! il était sévère, mais des dessous de brave homme, volontiers duelliste, on se rapelle son duel avec Vallès .
Il se fût battu pour celui dont il venait de se moquer .
Il avait du mal à admirer, mais tant de plaisir à estimer !
Cet hiver encore il allait le soir digérer à sa porte, au Moulin Rouge, où se rencontrent de nombreux journalistes :
il cherchait, en causant avec eux, le sujet de son article de lendemain .
Quand il l'avait trouvé, il racontait ses projets de pièces et de romans .
Il était de ceux qui contruisent un drame en le racontant .
Quiconque l'a entendu sait avec, quel art, quelle puissance de mise en scène, il trouvait alors son intrigue, on croyait voir la pièce .
La dernière fois que l'y trouvait, il montrait l'établissement à deux curieuses, très voilées, deux vieilles amies de thêâtre .
L'une d'elle était toute triste :
Vous savez le talent qu'elle à disait-il .
Chaque fois qu'on lui a donné une panne, ça a marché tout seul .
On lui confie enfin un rôle superbe dans " le Pater " , la pièce est interdite .
Voilà la vie, mon cher, moi je suis fichu .
Depuis ce temps là, il ne sortit qu'en voiture .
Il y a quinze jours, la tumeur prit un tel développement qu'il fallut la soutenir avec des bandes .
Ruiné, Davyl s'était retiré à Bois le Roi .
Condanné, c'est à Bois le Roi qu'il a voulu aller mourir .
C'est là qu'il a rendu hier matin le dernier soupir .
Les lettres ont perdu plus qu'un artiste de talent, un honnête homme .

Charles Chinebelle