Victor Noir
1848 - 1870





Quelques-uns eurent la vision de quelques scène épouvantable, d'une bataille sur ce cercueil.
Que fût-il arrivé si la lutte avait eu lieu ?
Mais, tout à coup la bière est enlevée, mis sur la voiture, les chevaux fendent la foule, le flot suit instinctivement le corbillard
et dans la boue, poussant, poussés, tête nue, ces milliers de gens s'acheminent vers le petit cimetière de Neuilly où Victor Noir
va reposer .



Funérailles de Victor Noir . La foule coupe les traits des chevaux et traîne le corbillard .


Derrière le corbillard, suivaient M. Rochefort et M. de Fonvielle dont on déchirait le paletot " pour en garder le souvenir " .
Soudain, pressé par une irruption inattendue, Fonvielle chancelle, pâlit .
Rochefort le croit écrasé, et succombant sous tant d'émotions, s'évanouit.
On le transporte alors un épicier de l'avenue .
A force de soins, il reprend ses sens, pour verser des larmes, pour sangloter et se désespérer .
Par bonheur, raconte dans un article demeuré inédit un témoin de cette scène, Paschal Grousset était avec lui, le rassure
sur le sort de Fonvielle et le réconforte .
Cependant ce pénible et touchant incident avait toute pensée de marcher sur Paris .
Sans Rochefort, sans chef, cela devenait inutile .
Aussi se dirigeait-on définitivement vers cimetière de Neuilly, et à l'heure même où Rochefort retrouvait ses forces et montait
dans sa voiture, Louis Noir, Fonvielle, Flourens, Millière et un étudiant disaient sur la tombe entr'ouverte de Victor Noir
quelques mots d'adieu, quelques mots de vengeance .
Sur la tombe, Louise Michel rendra un dernier hommage à Victor Noir.
Ce jour-là, elle se jure à elle-même qu'en souvenir de la victime des Bonaparte, elle ne quittera plus jamais le deuil .
Elle tient parole



Funérailles de Victor noir . Épisode du cimetière . Les discours sur la tombe .


La foule, qui n'avait pu pénétrer dans le cimetière était lasse, découragée .
Un certain nombre de citoyens avaient même pris la détermination de se retirer et retournaient chez eux .


Pierre Bonaparte

Les relations de l'Empereur et de son coussin, qu'il a cependant fait prince en 1856, sont si mauvaises que le souverain lui interdit
de faire usage de son second prénom .
La Haute Cour de justice, seule habilitée à juger un prince de la famille de l'Empereur se réunit à Tours le 21 mars 1870 .
Le meurtre de Victor Noir conduit Pierre devant la Haute Cour de Justice, comme l'exige son rang.
Malgré la vindicte et l'acharnement de certains, il y retrouvera son honneur.
Le 20 mars 1870 vers dix-neuf heures, Pierre quitte la Conciergerie. En gare d'Orléans, il monte dans un compartiment du train
Bordeaux Express.
Il arrivera à Tours à une heure du matin.
Pierre est immédiatement conduit au pénitencier où il logera dans deux des pièces réservées au Directeur .
Au Palais de Justice de Tours la salle d'audience est très grande, de plafond haut.
Sur l'un de ses petits côtés se trouve une rotonde assez vaste.
On y remarque un Christ de dimensions imposantes.
La Cour est constituée de quatre juges et du Président, M. Glandaz.
Un tirage au sort a désigné les trente jurés, parmi les Conseillers Généraux de toute la France.
Les avocats de Pierre : Maître Leroux, vieil ami de l'accusé, un autre avocat, Maître Laurier, avait proposé en vain ses services
à Pierre.
Il sera l'avocat le plus agressif de la partie civile.
Dans la salle se presse un nombreux public que le service d'ordre a du mal à contenir.
L'audience est ouverte à onze heures trente.
Pierre apparaît, accompagné d'un capitaine de gendarmerie.
Il porte un habit noir avec à la boutonnière la rosette d'Officier de la Légion d'Honneur.
Tout dans son attitude montre un homme prêt à se défendre.
Il prend place dans le box des accusés, situé à la gauche du Président.
Au-dessus de lui, un portrait en pied plus grand que nature de Napoléon Ier tenant à la main le Code Civil est accroché au mur.
Trois autres portraits de même dimension, représentant des magistrats célèbres, sont également accrochés de part et d'autre.
Le procès commence par l'interrogatoire de Pierre, qui décline son identité.
Puis, le greffier lit l'acte d'accusation.
Il contient la version de Pierre et celle de Fonvielle, complètement divergentes.
Le procès est émaillé d'incidents, souvent dus à l'intervention de Pierre lors de l'interrogatoire d'un témoin.
Ainsi, lorsque le Président pose la question rituelle à Grousset : " Êtes-vous parent ou allié de l'accusé ? ", celui-ci répond d'une voix faible :
" Madame Laetizia a eu trop d'amants pour que je puisse assurer qu'il n'est pas mon parent.
" Pierre, offusqué par ces propos qui portent atteinte à la mémoire de sa grand'mère qu'il chérissait, se dresse et lui lance : "
Je n'ai pas bien entendu, mais vous êtes un misérable ! "
A Millière, témoin de Rochefort qui reconnaît avoir eu sur lui un pistolet - qu'il considérait comme une " arme défensive " -,
Pierre réagit, en disant : " Les armes défensives sont les cuirasses et les casques. " Fonvielle gesticule et le traite d'assassin,
il sera expulsé de la salle.
Pierre lui oppose, en se dressant, une attitude de défi, Rochefort purge une peine de prison de six mois pour outrage envers
l'Empereur et à magistrats.
Il arrive entre deux gendarmes, son interrogatoire n'apportera aucun élément nouveau.
L'audition des nombreux témoins à charge et à décharge durera plus de 48 heures, et le procès se prolongera jusqu'au
samedi 26 mars.
Dans sa longue plaidoirie, Maître Laurier, celui-là même qui avait proposé ses services à Pierre, conclut :
" Victor Noir a été jugé déjà par le peuple.
Le jour de ses funérailles, une faction qui s'appelle deux cent mille citoyens l'a accompagné à sa dernière demeure ! "
Les débats tournent à la confusion de la partie civile…
Le lendemain, après une brillante plaidoirie de Maître Leroux, défenseur de Pierre, le très jeune et second avocat de la défense,
Maître Demange , termine son exposé, qui se veut bref, en s'adressant aux jurés, tous Conseillers Généraux :
" Je suis confiant, parce que le sort de Pierre Bonaparte est entre les mains des Français, qui ont du courage et qui n'ont nul
souci du prétendu verdict de deux cent mille jurés… même vous, les Hauts Jurés de la France entière vous direz qu'il n'est point coupable " .
A la première question posée au jury " Le Prince Pierre-Napoléon Bonaparte est-il coupable d'avoir, le 10 janvier dernier,
à Auteuil - Paris, commis un homicide volontaire sur la personne d'Yvan Salmon, dit Victor Noir ? ", la réponse est " non ".
La légitime défense étant ainsi reconnue, Pierre est acquitté.



Lecture du verdict d'acquittement de Pierre Bonaparte


Bien qu'acquitté, Pierre est condamné à payer 25 000 F à titre de dommages et intérêts aux époux Salmon, défendu par
Maître Bernheim eux-mêmes condamnés aux dépens envers l'État du procès criminel.
… mais la presse d'opposition ne désarme pas.
Le lendemain, " La Marseillaise " publie à la Une les résultats du procès :
Ulrich de Fonvielle : est en prison,
Pascal Grousset : est en prison,
Henri Rochefort : est en prison,
Millière : est en prison ,
Pierre Bonaparte est acquitté,
Victor Noir dans la tombe,
Napoléon III, dont le régime est sérieusement attaqué de toutes parts demande à Pierre de quitter Paris pour éviter des troubles éventuels.
Mais celui-ci refuse, car il ne se sent pas responsable de la mort de Victor Noir, qu'il a tué en état de légitime défense.