Victor Noir
1848 - 1870



Victor Noir


Aucun journal n'a publié une biographie complète de Victor Noir   
mais en glanant de çà, de là, dans les divers articles consacrés à cet infortuné jeune homme, nous permet de retracer sa vie avant
cette tragique journée du 10 janvier 1870.

Victor Noir , né le 27 juillet 1848 à Attigny ( Vosges ) de onze ans plus jeune que son frère, apprenti horloger, puis fleuriste,
fut attiré à Paris par la réussite de Louis Noir son aîné.
Il fit ses début de journaliste au " Corsaire " qui succomba sous le poids des amendes de presse, on l'avait vu au
" Journal de Paris ", au " Satan ".
Il collabora ensuite à " La Marseillaise " qui venait d'être fondée par Henri Rochefort.



Henri Rochefort ( 1831 - 1913 )


En 1870, à la suite d'une polémique assez vive entre deux journaux Corses : "La Revanche " et " L'Avenir de la Corse " ,
Paschal Grousset rédacteur en chef à " La Marseillaise " avait chargé ses collaborateurs : Ulrich de Fonvielle et Victor Noir
de se rendre au domicile du Prince Pierre Bonaparte ( fils de Lucien et donc neveu de l'Empereur ) à Auteuil, pour y
présenter une demande de réparation par les armes.
Pascal Grousset se considérait en effet offensé par un article signé du Prince .



Pierre Napoléon Bonaparte ( 1815 - 1881 )


Le matin du 10 janvier 1870, Victor Noir soigne particulièrement sa toilette.
Il s'habille entièrement de noir et court chez sa fiancée, qu'il trouve en compagnie de sa belle-sœur.
Suis-je assez beau ? s'amuse- t-il. Suis-je assez élégant, mesdames? Admirez donc !
Sa belle-sœur lui refait le nœud de sa cravate : Vous pouvez aller, maintenant. vous êtes très bien, eh bien ! Embrassez-moi !
En compagnie de Paschal Grousset, Victor Noir et Ulric de Fonvielle sont partis en victoria pour Auteuil.
Ils ont chargé en route Georges Sauton, journalisme au " Réveil " .
Ils roulent vers le domicile de Pierre Bonaparte.



Victor Noir assis et Ulric de Fonvielle


Mais ! et c'est ici que tout se complique ! à 10 heures , ce matin même, Rochefort a reçu la lettre de Pierre Bonaparte qui
le provoquait. Il a décidé de répondre et aussitôt choisi ses témoins : Charles Millière et Arthur Arnould, ses amis.
Ceux-ci se mettent eux aussi en route pour Auteuil .
On va voir que c'est de cette double démarche, Rochefort et Grousset envoyant le même jour, à l'insu l'un de l'autre, leurs témoins
à Pierre Bonaparte, que va naître le drame .
Donc, la victoria qui transporte Grousset, Sauton, Noir et Fonvielle s'arrête devant le 59 , rue d'Auteuil.
Noir et Fonvielle sont descendus de la voiture, ont remis leurs deux cartes au palefrenier Hutin, Hutin a pénétré dans la maison,
a remis à son tour les cartes à une servante, en précisant que les deux visiteurs semblaient fort pressés.
On les fit entrer dans un grand salon en les priant d'attendre.
Tout à coup le bouton d'une porte qui menait aux appartements particuliers du prince s'agita, et la main qui le poussait
extérieurement demeura un moment indécise, comme si la personne qui allait entrer réfléchissait ou hésitait.
Enfin la porte s'ouvrit et Pierre Bonaparte parut.
Il a écrit que les témoins l'abordèrent " les mains dans les poches " .
La vérité est que M. de Fonvielle et Victor Noir tenaient leur chapeau à la main.
Vous venez de la part de Rochefort ! dit brusquement le prince, de cette voix rauque et stridente à la fois que personne n'a
oubliée de ceux qui l'ont entendue et qui ressemble à un miaulement.
Non, nous venons de la part de M. Paschal Grousset. Pierre Bonaparte parut surpris; on lui tendait une lettre, il la prit, fit vers
la fenêtre quelques pas, jeta un coup d'œil sur la lettre de M. Grousset, puis la froissant et la posant de la main gauche sur
un fauteuil, il revint du coté des témoins, la main droite dans son large pantalon du matin.
J'ai provoqué M. Rochefort, dit-il alors, parce qu'il est le porte-drapeau de la crapule.
Quand a M. Grousset, je n'ai rien à lui répondre.
Est-ce que vous êtes solidaires de ces " charognes " ? Nous sommes, répondit Victor Noir, solidaires de nos amis.
Aussitôt, raconte M. de Fonvielle, l'unique témoin de cette épouvantable scène, le prince Bonaparte s'avançant subitement d'un
pas, et sans provocation de notre part, donna, de la main gauche, un soufflet à Victor Noir, et en même temps il tira un revolver
à dix coups qu'il tenait caché et tout armé dans sa poche, et fit feu à bout portant sur Noir.



Victor Noir bondit sous le coup, appuya ses deux mains sur sa poitrine , et s'enfonça dans la porte par où nous étions entrés.
Le lâche assassin se précipita sur moi et me tira un coup de feu à bout portant.
Je saisis alors un pistolet que j'avais dans ma poche, et pendant que je cherchais à le sortir de son étui, le misérable se rua sur
moi; mais lorsqu'il me vit armé, il recula, se mit devant la porte et me visa, j'ouvris une porte qui se trouvait derrière moi,
et me précipitait en criant à l'assassin.
Dans la rue, je trouvai Noir encore ganté qui avait eu la force de descendre l'escalier " en chancelant comme un ivrogne " ,
il s'est cogné contre la porte cochère ouverte, il a trébuché sur le pas de la porte, il est tombé sur les genoux et les mains
sur le trottoir.
Les témoins diront que son visage était " aussi blanc que sa chemise ". Fonvielle, lui sans chapeau, échevelé, tenant encore
son pistolet à la main, est sorti de la maison en criant : " A l'assassin ! On assassine chez le prince Pierre ".
Cependant les domestiques tentent de relever Victor Noir, Fonvielle s'élance vers ses amis Grousset et Sauton :
Criez à l'assassin ! Pierre Bonaparte vient d'assassiner Victor Noir.
On transporte Victor Noir chez un pharmacien voisin.
Un médecin accourt, le docteur Samazevilh, juge le jeune perdue.
L'écume lui coule de la bouche.
Bientôt le médecin doit constater la mort de Victor Noir.



La foule devant le domicile de Pierre Bonaparte au 59, rue d'Auteuil à Neuilly,
c'est sur le trottoir de l'hôtel que Victor Noir s'écroula


Quelques heures après une voiture se range devant l'hôtel. C'est celle où ont pris place Millière et Arnould, les témoins de Rochefort.
Ils ne savent rien de ce qui s'est passé . Sauton et le docteur Samazevilh courent au-devant d'eux en criant :
N'allez pas dans cette maison, on y assassine ! Victor Noir vient d'être assassiné ! Millière saute de la voiture .
Mais raison de plus, allons voir ce qui s'y passe.
Rapidement on raconte aux témoins de Rochefort le drame qui s'est joué.
Lorsque Paris apprit la nouvelle de cette mort inique, on sentit passer sur lui la chaude effluve, le vent farouche des jours d'orage
révolutionnaire.
Ce jour-là, l'Empereur Napoléon III descendait d'un train venant de Saint-Cloud lorsqu'on lui apprit la nouvelle .
Une livide pâleur se répandit sur son visage.
Il recula comme devant un fantôme.
Le soir même , les journaux qui devaient paraître le lendemain recevaient la note suivante :
"Aussitôt que le garde des sceaux a appris le fait qui s'est passé à Auteuil, il a ordonné l'arrestation immédiate de M. Pierre Bonaparte "
Pierre Bonaparte est incarcéré à la Conciergerie .
L'empereur a approuvé cette décision .