Louis Noir
1837 - 1901
Chapître 1
LA GROTTE AUX CRISTAUX
Senoncourt !
Le plus joli bourg de la très grande banlieue de Paris.
Trois hameaux !
L'un au bord de la Seine; les deux autres sur un des plus beaux plateaux du Gâtinais.
Deux châteaux !
Villas nombreuses .
Maisonnettes parisiennes, les unes très réussies comme celle du père Touard, d'autres abominablement construites par des
prétentieux voulant trancher de l'architecte; peu nombreux ceux-là .
On se montre du doigt en riant leurs " turnes ratées. "
Mais l'ensemble est charmant .
A cinq cents mètres la forêt, dans un arc de cercle immense, encadre les trois hameaux. La Seine forme la corde de l'arc et baigne
la base d'une colline en dos de chameau que couronne les villages de " Claire-Fontaine, de Tivry et de Charbettes ".
( Ces trois villages sont : Fontaine le Port, Livry-sur-Seine et Chartrettes )
Au loin, Melun.
A mi-chemin, le fameux pavillon de Roquebrune, le plus beau de France et de Navarre.
Et tout près, Fontainebleau, son palais et son parc.
Mais parc plus immense, plus splendide, la forêt où l'on peut marcher pendant sept heures, en ligne droite, sous les arbres !
Un monde cette forêt avec ses gardes de l'État, ses gardes de chasses particulières, ses gardes-biches, qui courent toute la nuit
pour empêcher les grands animaux d'aller se faire tuer sur les terres de Senoncourt par les affûteurs, ce qui n'empêche pas ceux-ci
d'en abattre un ou deux par semaine.
Seize sous la livre, la viande de cerf ou de biche.
On s'en paie!
C'est qu'elle est riche en bêtes fauves ou noires, cette forêt de Fontainebleau où l'on compte plus de huit cents cerfs ou biches,
ou hères ou faons, ou daguets.
Chevreuils, faisans, lapins, lièvres y font la joie des bons chasseurs et le désespoir des mauvais tireurs qui viennent faire de l'épate
avec leurs costumes de Nemrod, posent dans le train, posent au restaurant, posent dans le pays, posent sous bois, mais ne tuent jamais rien...
si, pourtant, quelquefois... un écureuil.
Très peuplée, cette forêt que l'on croirait déserte.
Des bûcherons partout pendant l'hiver. Au cours d'une promenade, prêtez l'oreille. Un bruit semblable à un coup de canon.
C'est un arbre qui s'abat.
Et autour de vous, les haches infatigables troublent le silence des futaies.
Et ces retentissements métalliques, ces coups de mine ?
Ce sont les carriers taillant les grès et faisant sauter les rocs.
Point d'eau dans la forêt de Fontainebleau ! nous dira-t-on.
Erreur !
Sous les blocs de grès, beaucoup de petites fontaines, filtrant l'eau des mares goutte à goutte.
Connues des seuls forestiers qui ne les montrent jamais aux profanes.
Pourquoi?
Parce que, parmi les promeneurs, il y a des farceurs imbéciles qui prennent plaisir à souiller ces fontaines.
Il faut vider la vasque taillée dans le bloc par les carriers, la laver et attendre pendant deux jours et plus qu'elle soit remplie.
Comme c'est intelligent, de la part de ceux qui font ces blagues-la.
Aussi, vous Parisien, promené par le père Garnier, guide officiel de la forêt, qui tient la buvette de la Grotte-aux-Cristaux,
près la Belle-Croix, saisi par la soif, au cours d'une promenade dans les merveilleux sites du Cuvier-Chatillon, serez-vous
tout étonné de vous entendre dire par ce guide expérimenté-
Puisque vous avez soif, asseyez-vous là et attendez.
Sur ce, il dévale et disparaît pour revenir avec quelque vieux gobelet rouillé ou quelque pot ébréché plein d'eau bien limpide,
bien fraîche. Il reporte le récipient où il l'a pris.
Et vous, à son retour:
Il y a donc de l'eau près d'ici, père Garnier ?
Oui, monsieur.
Où ça?
Et le père Garnier, au lieu de répondre, détourne la conversation.
Je crois avoir vu une vipère s'enfuir dans la bruyère.
Une vipère.
Ça vous intéresse.
Il fait semblant de chercher, ne trouve pas et l'on s'éloigne.
À propos, père Garnier, et cette fontaine ? J'aurais bien voulu la voir.
Lui, tranquillement:
Monsieur, une fontaine, c'est précieux pour les gardes, les carriers et les bûcherons. Eh bien ! il y a eu des Parisiens qui se
sont amusés à les remplir d'excréments.
Aussi ne les montrons-nous jamais.
Comment, père Garnier, vous me supposeriez capable...
Pas vous.
Mais vous pourriez la montrer à des amis et connaissances.
Vous êtes peu flatté et très étonné de ces réflexions.
Mais je vous ai parlé de la Grotte-aux-Cristaux, il faut que je vous dise ce que c'est.
Des grès cristallisés mis sous grille et sous clef
Il n'y a que deux grottes aux cristaux de grès en Europe.
Celle de la forêt de Fontainebleau et une autre dans le Wurtemberg.
A voir ces cristaux on ne se douterait pas qu'ils sont si rares, par conséquent si précieux. Les savants viennent de loin pour les voir.
De là, ils se font conduire par le père Garnier à la grande caverne des Sorcières.
LA CAVERNE DES SORCIÈRES
Repaire de brigands.
Longtemps cherché.
Jamais trouvé.
On passe devant l'entrée, pourtant déblayée, sans la voir.
Il y a cheminée, salle à manger et dortoir.
Biens logés, messieurs les brigands !
Mais voilà qu'un jour, le père Garnier, en cherchant des vipères, enfile par mégarde sa jambe dans un trou tout rond et profond.
Cela lui semble bizarre.
Il regarde le trou et le voit plein de suie. Mais alors...
Serait-ce donc une cheminée ?
Oui.
Mais alors... pour la seconde fois, il y aurait une habitation ?
Cherchons.
Et si bien il chercha qu'il trouva.
On avait fait du feu la veille et les pas des brigands ou des vagabonds étaient tout frais marques sur le sable; un quartier de biche salée
pendait à un crochet suspendu à un anneau scellé dans la voûte .
L'affaire fit grand bruit.
Colinet, mon ami Colinet, le successeur de Denecourt, Colinet le sylvain incomparable, fît aboutir un de ses sentiers artistiques à la grotte,
que ses hôtes s'empressèrent d' évacuer pour ne jamais y revenir.
Et je vous assure que le repaire de ces brigands reçoit de nombreuses visites en été.
P S : " les trois villages nommés sont " Fontaine le Port " Livry sur Seine "et "Chartrettes ".
Grotte aux Cristaux.
Les grès cristallisés du Rocher Saint-Germain constituent une curiosité naturelle très rare.
Découverts en 1771 par un carrier nommé Laroche, négligés depuis, retrouvés en 1850 par un ouvrier appelé Benoît,
ils ne tardèrent pas à être saccagés.
L'administration fit combler la grotte que M. Colinet put enfin retrouver en 1891, après bien des recherches.
Il l'a fait entourer d'une solide grille qui lui donne l'apparence d'une cage aux animaux féroces :
le passé lui apprenait que cette précaution était nécessaire pour mettre la voûte de la grotte à l'abri des dévastations.
La Grotte aux Cristaux
Caverne aux Sorcières.
Cette caverne, ainsi nommé par M. Colinet, qui l'a remise en lumière, se trouve sur le sentier de la promenade au rempart du Cuvier Châtillon.
Elle offre cette particularité d'avoir été habitée, comme en témoignent les gonds de la porte qui la fermait, et la cheminée construite à l'intérieur.