….Yedda, ballet en trois actes, par MM. Philippe Gille, Arnold Mortier, et Louis Mérante, musique de Olivier Métra .
La Chine et ses mongols firent fureur au dix-huitième siècle : c'est aujourd'hui le Japon qui nous enchante .
Le < Japonisme > auquel nous sommes en proie exerce son influence sur nos modes, sur notre ameublement et sur nos arts .
Je pourrais nommer quelques-unes de nos peintres célèbres dont toute l'ambition est de reproduire exactement l'aspect des
peintures japonaises .
Les origines de cette sorte d'idolâtrie remontent à l'expédition de Chine .
Un certain nombre d'officiers, d'artistes et de savants français, poussèrent jusqu'au Japon après la signature du traité de paix
et se montrèrent vivement frappés de ce qu'ils avaient vu .
Ils rapportèrent, de cet étrange archipel du " Nippon " où la férocité des races barbares s'alliait à la civilisation
la plus raffinée de nombreux spécimens d'un art aussi original que l'art chinois mais infiniment plus avancé et plus fin .
Les premiers costumes japonais qui parurent aux bals costumés des Tuileries et chez M. de Morny, en 1861 et 1862 , produisirent
une sensation profonde .
L'exposition de 1867 acheva leur popularité .
Cependant le théâtre n'a pas tiré, jusqu'à présent autant de parti qu'on aurait pu le supposer, d'un art décoratif qui comporte
toutes les richesses et toutes les élégances .
M . Victor Koning seul prit l'initiative, il y a deux ou trois ans, d'une manifestation japonaise .
Les costumes de Koriki excitèrent l'admiration générale dans le petit cadre du théâtre de la Renaissance .
Voici que l'Opéra aborde à son tour les terres du Nippon, et c'est la Sangalli qu'il a chargée d'y planter son étendard victorieux .
Le livret nous assure que Yedda est une légende Japonaise ; mais des érudit de mes amis m'affirment que le pays ou
j'aurais le plus de chances de rencontrer les origines de Yedda , ce serait la Scandinavie, dans la partie la plus
rapprochée du pôle nord .
J'aime mieux les croire que d'y aller voir par le temps qu'il fait .
Le premier acte se passe à l'entrée d'un hameau japonais, aux abords du lac sacré, dominé par les pics inaccessibles d'une
chaîne de montagnes bleues .
A droite, la lisière de la forêt: un peu avant la ferme, une petite fontaine en bois sculpté, surmontée d'un coq au plumage hérissé .
C'est là qu'habite Yedda, la fille du vannier, et la plus jolie Japonaise qui jamais se soit mirée dans les eaux mystérieuses du
lac sacré .
Yedda est fiancée à Nori, qu'elle doit épouser le jour même ; quand par malheur pour elle et pour lui le Mikado vient à passer par là .
Le mikado vient d'arriver dans le village, escorté de toute sa cour et accompagné de la princesse, Tô, le bouffon,
l'amoureux de la princesse, regarde, éloigné de quelques pas , la scène qu'il a sous les yeux .
Le prince a demandé à boire, et Yédda, après avoir puisé, dans une cruche de grès, à la fontaine qui se trouve près de
la maison, approche le vase des lèvres du mikado .
Il est jeune et joli, ce mikado, il a du vague a l'âme, et il s'ennuie, bien qu'il doive, lui aussi, épouser prochainement une
très belle princesse .
Au premier coup d'oeil, il est saisi par la beauté de Yedda; la jeune vannière danse devant son souverain seigneur, qui pense à
part que les premières danseuses du théâtre impériale de Yedda ne sont pas de cette force là .
Lorsqu'il s'est éloigné, comme à regret, jetant sur Yedda des regards qui ont enflammé la jalousie de la princesse, Yedda reste
fascinés par le souvenir de cette cour brillante qui lui est apparue comme un rêve .
Tô se trouve là tout à point pour mettre à profit ces dispositions de l'âme chez la jeune fille .
Tô, qui joue dans tout ceci le rôle de Méphistophélès, est un bouffon de cour, qui ose aimer la princesse, et qui par conséquent,
a tout intérêt à la brouiller avec le Mikado .
Tô propose à Yedda le moyen infaillible de devenir l'égale des plus grandes dames .
< Ecoute > lui dit-il ( par signe ) à l'autre bout du lac, à l'heure de minuit, aux pieds de l'arbre de la vie, se réuniront les
esprit de la nuit .
Ce sont les filles des dieux qui distribuent le bonheur et le malheur à chaque être humain .
Voit-tu ces grandes feuilles de lén qui flotte sur la surface de l'eau ?
Quand le rossignol chantera, aussitôt, hardiment pose le pied sur une de ces feuille.
Elle le transportera chez les esprit ...
< J'irai > répond Yedda ( toujours par signe ) .
Et elle y va aussitôt que le rossignol commence à chanter .
Le décor du deuxième acte représente un paysage poétique et vaporeux , où s'élève l'arbre de la vie, dont le tronc robuste étend
ses branches gigantesques jusque sur les eaux du lac sacré .
La lune se lève .
Les esprits, obéissant au commandement de leur reine Sakourada, s'abandonnent à des danses voluptueuses .
C'est à eux que Yedda, toujours portée par sa feuille de lén, vient demander la puissance magique qui lui donnera le bonheur
et la richesse .
Sakourada cueille une branche de l'arbre de la vie .
Cette branche rendra la jeune vannière riche, puissante et belle entre toutes .
Mais à chacun des vœux que formera Yedda, une des feuilles de la branche tombera, et la chute de la dernière feuille marquera
la dernière heure de Yedda .
Au troisième acte, Yedda, transfigurée, apparaît au yeux du Mikado dans son propre palais .
< Je veux qu'il m'aime !> pense-t-elle, et une feuille tombe desséchée .
Le Mikado enivré d'amour, tombe aux pieds de Yedda .
La princesse, survenant et exaspérée par ce tableau, veut frapper Yedda : le poignard de la princesse se brise, et une seconde
feuille se détache de la branche .
Yedda se croit arrivée au faîte de la puissance qu'elle prend pour le bonheur .
Mais tout à coup Nori se présente devant elle; elle sent qu'elle aime encore son fiancé, elle veut l'oublier, elle l'oubliera, car
car une troisième feuille jaunit et tombe .
Cependant, la princesse paye un assassin pour en finir avec Yedda; cette fois c'est Nori qui se précipite pour la couvrir de son
corps et qui reçoit le coup fatal .
A la vue de Nori expirant, Yedda sort comme d'un rêve; elle maudit sa fatale coquetterie, sa criminelle ambition, et n'ayant plus
rien à faire sur la terre, elle souhaite de rejoindre Nori dans la tombe.
La dernière feuille se dessèche; les deux fiancés sont réunis dans la mort .
Sur cette donnée poétique, fantastique, mouvementée, dramatique même, mais seulement pendant les cinq minutes de
dénouement, M. Olivier Métra à écrit une partition d'une fraîcheur et d'une grâce extrême, ou la mélodie thème, brodé par
la flûte, parait suivre dans leurs méandres les plus délicats, les étonnantes variations dansée par la Sangalli .
La danse des Esprits, qui remplit le second acte, contient un morceau qui sera populaire demain, sous le nom de
" Valse des Fées ", c'est un motif lent et mélancolique , où l'on reconnaît sans pouvoir s'y méprendre, l'auteur de la fameuse
" Valse des Roses " .
Les deux morceaux saillant du troisième acte sont doux ensembles : le Ballabile des éventails et des papillons et celui des ballons,
dont le papillotement pittoresque est un enchantement pour les yeux, tandis que l'oreille suit avec intérêt le développement de
rythmes d'un irrésistible entrain .
En écrivant la musique d'Yedda, M. Olivier Métra n'a pas songé, comme son héroïne, à dérober une branche à l'arbre de la vie :
se défiant de toute ambition décevante, il s'est contenté de rester lui même .
Telle a été, sans doute, la meilleur raison du très vif succès de sa partition .
Cette musique chante toujours .
L'orchestration en est claire, agréable, bien distribuée, et met en valeur, avec un discernement très habile , comme chaque partie
du clavier instrumental .
Qu'on ne dise pas que cela manque de science : la science de M. Olivier Métra est aimable voila tout .
S'il y a reproche à lui faire c'est de garder une égalité constante dans le charme; on pourrait dire qu'elle manque d'ennui .
L'ingénieux ballet de MM.Gille, Mortier et Mérante est mis en scène avec un goût parfait et une splendeur extraordinaire .
Les costumes d'Yedda, du mikado, de la princesse, de Tô, de Nori , comme aussi de la garde royale et même des moindres comparses,
sont des merveilles de richesse et de curiosité .
Rita Sangalli dans le rôle de Yedda
Louis Mérante dans le rôle de Nori
On y reconnaît le crayon de M.Eugène Lacoste .
Les accessoires ne sont pas moins bien traitée .
Je recommande aux amateurs de bibelots la chaise en laque dans laquelle le mikado couché fait son entrée au premier acte .
Les décors sont dignes de l'Opéra; je louerai surtout l'arbre de la vie, au second acte, admirable composition de M.J.B.Lavastre .
C'est madame Rita Sangalli qui mime et danse le rôle de Yedda, avec une puissance et une force d'exécution qui n'excluent ni le
ni le charme ni la classe .
Madame Sangalli a été couverte d'applaudissements par le public d'élite qui assistait à la première de Yedda .
Mesdemoiselles Marquet et Righetti dans les rôles de la princesse et de la reine des esprits; M.M Mérante, Rémond et Cornet ont
eu leur part de succès, ainsi que les autres étoiles de danse, mesdames Mérante, Sanlaville, Piron, Fatou, Monchanin, etc ...
J'en passe et des plus charmantes
Pour ce ballet, le costumier Eugène Lacoste s'inspire des
accessoires exposés au Champs de Mars l'année précédente
Les costumes témoignent d'un joyeux mélange de pure
fantaisie et de respect de la tradition